Jeune professeur de philosophie (déjà docteur avec une thèse sur les données immédiates de la conscience). En 1892, au lycée Henri-IV, il lui revient de prononcer le discours de distribution des prix. Sujet retenu : la politesse.
Propos
La politesse est tolérance, elle substitue la discussion à la dispute, amortit le choc des opinions contraires, amène les hommes à mieux se connaître. Sachez qu'en vous exerçant à la politesse de l'esprit, vous travaillez à mieux unir les hommes.
Témoignage
De Jules Isaac, son élève en 1897, année de L'Évolution créatrice : "Pendant des heures, ravis, jamais lassés, nous suivions le magicien joueur de flûte, nous écoutions comme en extase cette voix menue, par où il semblait que s'exprimât un pur esprit."
Reçu premier à l'agrégation d'histoire. Auteur de célèbres manuels d'histoire visant à exalter le patriotisme. Chantre du "roman national", créateur de l'expression "Nos ancêtres les Gaulois", conscience nationale des hussards noirs de la IIIe République.
Propos
Il y a dans le passé le plus lointain une poésie qu'il faut verser dans les jeunes âmes pour y fortifier le sentiment patriotique. Faisons-leur aimer nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides. Un pays comme la France ne peut vivre sans poésie.
Témoignage
De Charles Péguy à propos de son Histoire de France : "Il y avait des images, des récits et un texte. Je pris là de la France et de son histoire une image commode que tout mon travail depuis a essayé de remplacer par l'incommode image exacte."
Bien connu pour ses Propos, il incarne la figure du professeur de philosophie, épris de sagesse, de culture et de liberté, adulé par ses élèves, qui l'appellent "Maître" ou "l'Homme", il conçoit son enseignement comme un lent apprentissage.
Propos
Nous vous avons appris l'amour de la lumière, de la simplicité et de la clarté, et cette noble impartialité qui est toute la justice. Nous vous disons maintenant après vous avoir donné ces armes resplendissantes : ne les rendez jamais à personne.
Témoignage
D'André Maurois, son élève au lycée de Rouen : "Ah ! l'animation de ces classes où l'on entrait avec l'espoir de découvrir le secret du monde, et d'où l'on sortait avec la joie d'avoir compris qu'il était possible d'être un homme dignement, noblement."
Fils d'un menuisier et d'une rempailleuse de chaises. École primaire à Orléans où il est formé aux valeurs de "l'ancienne France". Khâgne à Paris. Reçu 6e à Normale Sup (élève de Bergson). Échoue à l'agrégation de philo. Sera poète.
Propos
Être maître et élèves, cela constitue une liaison sacrée, fort apparentée à cette liaison qui de la filiale devient la paternelle. On n'a pas seulement des devoirs envers ses maîtres, mais on en a aussi envers ses élèves. Car ses élèves, on les a faits.
Témoignage
Du proviseur du lycée Pothier : "Toujours bon écolier. Mais gardons-nous du scepticisme et de la fronde et restons simple. J'ajouterai qu'un écolier comme vous ne doit jamais s'oublier ni donner l'exemple de l'irrespect envers ses maîtres."
Enseigne la physique et la chimie avant de passer l'agrégation de philosophie. Philosophe des sciences, de la connaissance, de la poésie, du temps, il étudie les rapports entre littérature et science, entre imagination et rationalité.
Propos
Les professeurs de sciences ne comprennent pas que l'on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de l'irréflexion.
Témoignage
"On allait le voir pour l'entendre parler de lui. On le quittait avec le sentiment (...) de n'avoir parlé que de soi. Il interrogeait, scrutait, écoutait. Et parce que le regard était bienveillant (...) on se laissait aller, on se confiait."
Le jeune prof, futur théoricien de l'existentialisme, bouscule les conventions au lycée du Havre : sans cravate, pipe à la main, il enseigne assis au bureau. Dans son discours de distribution des prix, il prône la valeur éducative du cinéma et scandalise.
Propos
Que vos parents se rassurent, le cinéma n'est pas une mauvaise école. Qui vous enseignera la beauté du monde où vous vivez, la poésie de la vitesse, des machines, la splendide fatalité de l'industrie ? Qui, sinon le cinéma ? Allez-y souvent.
Témoignage
Il arrive. Nous l'accueillons debout. Il nous examine longuement, et il parle "Messieurs, je vous hais". Au bout d'un silence interminable, la suite vient : "Car vous êtes tous de sales bourgeois". Puis détendu, heureux de son effet : "Vous pouvez fumer".
Prof agrégée de philo à 21 ans, anticonformiste et passionnée, la future auteure du Deuxième Sexe est adorée de ses élèves mais en conflit avec sa hiérarchie et les parents d'élèves. Elle sera suspendue en 1943 pour excitation de mineures à la débauche.
Propos
À cause du contenu de mes cours, j'étais mal vue par la bourgeoisie de Rouen. On racontait que je me faisais entretenir par un riche sénateur. Le bruit courut que je me vantais d'avoir de riches amants et que je conseillais à mes élèves de m'imiter.
Témoignage
Rapport de la directrice : "Je l'ai mise en garde contre les dangers que ces lectures (Proust, Gide, Mauriac) présentent pour des jeunes filles de 17 ou 18 ans. J'eus l'impression de n'avoir aucune influence sur cette nature orgueilleuse et distante."
Professeur agrégé de lettres, il s'inspire de son expérience pour raconter en sept volumes la vie de son personnage récurrent, le Naïf, un professeur de français qui attaque sans nuances la "décadence" de la société et du système éducatif français.
Propos
Autrefois les illettrés étaient ceux qui n'allaient pas à l'école, aujourd'hui ce sont ceux qui y vont. Notre langue de princes est devenue un idiome de clochards, un sabir de poubelles, mêlé de loques de franglais et de débris journalistiques.
Témoignage
D'un journaliste ironique : "Ah, l'école d'autrefois pour laquelle le Naïf nourrit un attachement sans bornes ! Ce miroir de justice, temple de sagesse, est devenu la mère de tous les vices, et il éprouve à son égard des sentiments d'amoureux trompé !"
Le futur auteur du Rivage des Syrtes se nomme Louis Poirier lorsqu'il entre, en 1921, au lycée Clemenceau de Nantes, où il sera interne pendant 7 ans jusqu'au baccalauréat ; il y enseignera l'Histoire en 1936-37. Il se souvient de chahuts monstres.
Propos
Chaque nuit, sabbat sous les combles, où les évadés du dortoir, ravis, accédaient, toutes lumières éteintes, vers minuit, agitant d'inénarrables liquettes, festoyant de boîtes de sardines, et souillant à plaisir la citerne qui alimentait les cuisines.
Témoignage
Il détestait le régime de l'internat, mais il est l'élève le plus remarquable de toute l'histoire du lycée de Nantes : il obtient 7 fois le prix d'excellence avec 6 à 11 prix chaque année, 3 prix et 2 accessits au concours général.
Jacqueline de Romilly (Jacqueline David) (1913-2010) (10 / 13)
Professeur
Jacqueline de Romilly
Présentation
Grande helléniste, membre de l'Académie française, première femme professeur au Collège de France, première femme membre de l'Académie des belles-lettres. Première au concours général (première femme à s'y présenter).
Propos
Notre époque ne se pose que deux questions : "À quoi ça sert ?" et "Qu'est-ce que ça rapporte ?" Par l'enseignement du latin et du grec, nous donnons aux jeunes gens les moyens de penser et de sentir. Tout un vocabulaire de l'esprit.
Témoignage
Un jour, Mlle Plique entre portant un papier : Jacqueline David avait obtenu le 1er prix de version latine et le 2e prix de version grecque. Notre joie fut immense et délirante. Jacqueline était notre modèle, l'âme de la classe et sa conscience.
Louis Germain (1884-1966) (11 / 13)
Professeur
Louis Germain
Présentation
Instituteur à Alger, cet ancien combattant lit à ses élèves de CM2 Les Croix de bois de Roland Dorgelès. La lecture émeut beaucoup son élève Albert Camus, qui gardera une grande reconnaissance à ce maître et lui dédiera plus tard son prix Nobel.
Propos
Le bon pédagogue ne néglige aucune occasion de bien connaître ses élèves, ses enfants. Une réponse, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais ; ton plaisir d'étudier était éclatant.
Témoignage
D'Albert Camus : "Cet honneur (le prix Nobel) est l'occasion de vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui n'a pas cessé d'être votre reconnaissant élève."
Pierre Bourdieu (1930-2002) (12 / 13)
Professeur
Pierre Bourdieu
Présentation
Normalien, agrégé de philosophie, il s'oriente vers la sociologie. Connu pour sa théorie sur la reproduction des élites : l'école entretient les inégalités sociales, le système des examens, concours, jouant au détriment des classes défavorisées.
Propos
L'enfant d'un milieu défavorisé ne peut acquérir que laborieusement ce qui est donné au fils de la classe cultivée, le style, le goût, ces savoir-faire et ce savoir-vivre qui sont naturels à une classe puisqu'ils sont la culture de cette classe.
Témoignage
D'une de ses élèves : "C'était une merveille de jeune prof qui cherchait l'épanouissement de ses élèves. La sociologie n'était qu'interrogations et ouverture d'esprit : l'enseignement devait moins donner des connaissances que l'envie d'en acquérir."
Normalien, agrégé de philosophie, de l'Académie française. Créateur du personnage de Petite Poucette, il analyse les nouveaux défis de l'éducation, et décrit la révolution de l'enseignement, due aux nouvelles technologies et l'avènement du numérique.
Propos
Elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, n'habite plus le même espace, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde extérieur. N'ayant plus la même tête que celle de ses parents, elle connaît autrement.
Témoignage
De Poirot-Delpech : "Vous avez la passion de "faire classe". Car pour captiver vos auditoires comme vous le faites, il faut adorer cela, et payer de sa personne. Rien de ce qui remplit vos amphithéâtres ne se produirait sans votre foi dans votre métier."